VITICULTURE
Comment le rosé de Bordeaux v eut exister
Derrière les côtes-de-Provence, le rosé de Bordeaux prend sa place sur les tables estivales. La Gironde propose aussi du clairet, une AOC unique pourtant peu mise en avant
«Aucun vignoble ne triomphe sur deux couleurs. » Quelques anciens aiment répéter cette réalité viticole. Le blanc en Alsace ou dans le Gers ; le rouge dans les côtes-du-Rhône ou le Beaujolais ; le rosé en Provence. De même à l’étranger : le blanc en Allemagne, en Autriche ou en Nouvelle-Zélande ; le rouge en Californie ou dans la Rioja (Espagne) ; le liquoreux à Tokay (Hongrie). En Gironde — plus grand département viticole du pays — le rouge est aujourd’hui triomphant (plus de 80 % des ventes), devant le blanc sec, le rosé, les liquoreux et le crémant. Mais cela n’a pas toujours été le cas : dans les années 1960, plus de la moitié du Bordelais était plantée de blanc.
Alors, comment trouver une place au soleil au rosé gi-rondin qui ne pèse « que » 4 % du gâteau, mais avec quand même 25 millions de bouteilles vendues par an ? « En faisant de la promotion sur tous nos vins à boire frais : les blancs secs et doux, et les rosés », explique-t-on au Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB). « Un goût d’été bordelais » est la campagne de communication menée depuis juillet, essentiellement sur les réseaux sociaux. « Pour séduire de nouveaux consommateurs et soutenir dans notre région une consommation locale » ajoute-t-on. Et en visant, bien sûr, les tables de la côte atlantique (bassin d’Arcachon…) et tous ses vacanciers.
Là où les apéros, les grillades et les salades font le quotidien, où le soleil amène logiquement à boire des boissons fraîches. Là aussi où les côtes-de-Provence affirment leur position de leader.
Le pâle s’est imposé
« Il est vrai que pas grand monde n’attend Bordeaux, a priori, sur les rosés. Mais cette couleur gagne des parts de marché et je pense que le Bordelais y a toute sa place. Nos rosés sont de qualité et ont un rôle à jouer, il faut nous faire mieux connaître », explique l’œnologue Marie Courselle. Dans le sillage de son père Francis, et avec sa soeur Sylvie (en charge du
commercial), elle exploite 80 ha de vignes (moitié rouge, moitié blanc), avec le château Thieuley — situé à la Sauve-Majeure — en porte-drapeau. Avec un total conséquent de 500 000 bouteilles à vendre tous les ans.
Comme partout dans les propriétés girondines, le rosé est ici un complément de gamme, avec 24 000 bouteilles écoulées. Un assemblage cabernet franc (70 %) et merlot (30 %), proposé à 7,50 € la bouteille au château. « La couleur pâle des rosés s’est imposée sur les marchés depuis sept à huit ans. Le client l’associe à un vin plus léger », rappelle la professionnelle. Quitte à trouver parfois sur les linéaires des rosés, de Provence ou d’ailleurs, bien insipides. Tellement légers, qu’ils n’ont pas grand-chose à offrir dans le verre.
Valoriser le clairet
Sur le vaste marché des rosés, le Bordelais a une originalité : le clairet. « Une AOC spécifique à laquelle je crois. On la présente aux clients comme un rosé à la couleur plus foncée ou un rouge léger. Fruité et peu tannique, il peut plaire aux jeunes. Avec plus de caractère qu’un rosé classique. C’est aussi un moyen de venir plus tard sur les rouges », explique Marie Courselle.
À 70 % merlot et 30 % cabernet sauvignon, et titrant 12,5 ° d’alcool, la famille en écoule 14 000 bouteilles (également 7,50 € départ propriété), en France mais aussi à l’exportation (Suisse, Belgique, Québec…). En fait, sur des marchés matures, où les amateurs sont plus nombreux. « Il y a vingt ans, mon père produisait 60 000 bouteilles de clairet et pas du tout de rosé ». Sur ce segment spécifique, le Bordelais n’a pas joué cette carte locale.
Et le futur des rosés et des clairets ? « Avec le réchauffement climatique, il est clair que la fraîcheur des vins sera privilégiée. N’abandonnons pas le clairet. D’autant qu’il peut se consommer toute l’année, alors que le rosé est plus saisonnier. » Bonne nouvelle pour la vendange 2021 à venir, le temps frais de l’été sera propice à produire ces deux types de vins. Avec de beaux arômes en perspective.